Qu’est-ce que l’art ? Art vécu : Faire œuvre d’art de son existence Jean-Pierre Roche
« Qu’est-ce que la vie ? Å cette question répond pleinement et justement, chaque œuvre d’art vraie et réussie. » Arthur Schopenhauer
« Chaque œuvre d’art s’efforce de montrer la vie et les choses comme elles sont en réalité. » Arthur Schopenhauer
« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art. » Robert Filliou
Fulgurantes réflexions ouvrant les chemins de la liberté et de la créativité.
L’art en rapport dialectique à la vie en ce qu’il l’éclaire, voire la transforme, la rend digne d’intérêt, lui insuffle une force vitale et créatrice, la rend plus intéressante que lui-même.
Sortir d’une exposition, d’une représentation, d’un film, se sentir revigoré, plus riche, plus créatif, plus engagé, plus érotisé est fréquent et « sauve la vie » en la rendant peut-être plus intéressante que l’œuvre qui vient de la revigorer. Source d’art vécu.
Vie fade, non révélée, sans art, vie sublimée, transcendée, par le truchement de l’art.
Art, lieu de la vraie vie ou vie lieu de dépassement de l’art ?
Est-ce à parler d’art vécu ? Å proprement parler, non si la vie se différencie de l’art et, étant appréhendée par lui, est autre chose d’éventuellement plus intéressant.
Sauf à considérer que l’art vécu constitue un lieu de dépassement, et de l’art et de la vie, et ce sera notre point de vue. S’agissant de faire de sa vie une sorte d’œuvre d’art, un au-delà de l’art et une vie au-delà de la servitude volontaire, un art vécu.
L’art, créativité de la vie même, son moteur libertaire, son éros.
La vie se situe dans un cadre existentiel donné tragique, celui de l’éphémère, du périssable.
Elle se présente comme absurde et les réponses obscures à cette angoisse existentielle sont :
- de l’ordre du divertissement à tous vents et à tout prix, de la consommation-possession, de l’enfantement, pour oublier et compenser.
- de l’ordre du religieux, des croyances, des spéculations métaphysiques ou des idéologies.
Outre cet individualisme et ces obscurantismes, grâce à la culture, à la créativité, avec le gai savoir nietzschéen, une sagesse répond au donné tragique, éphémère de l’existence.
Gai savoir, sagesse tragique nous portant à « faire au mieux même si c’est périssable. », Marcel Conche. Surtout si c’est périssable, d’autant que c’’est périssable.
Où « nous sommes condamnés à la liberté. », Jean-Paul Sartre, à nous rendre compte que la créativité, l’art, l’amour, l’amitié, la beauté, le rapport à l’être, l’engagement, la poésie et la politique constituent un élan vital de gai savoir, une spiritualité laïque civile, sublimant l’existence, une béatitude selon Spinoza, l’élevant au-dessus de sa condition humaine tragique, l’outrepassant, transformant les instants en moments, façon d’immortalité.
Façon d’adopter ce panthéisme spinoziste, nature des choses divinisée.
L’outrepassant au point de considérer que la vie n’a de sens et de gai savoir possibles que grâce à son caractère éphémère. La mort n’existant pas, croire ou ne pas croire étant égal.
Dépasser l’absurde, faire sens, grâce à cette culture de la créativité.
Lors, « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie. », Baruch Spinoza.
« Le bonheur n’est pas une destination ou une gare atteinte un jour, mais une façon de voyager. », Margaret Lee Runbeck
« Ne pas céder sur son désir. » Jacques Lacan
« Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres. » Étienne de La Boétie
« Exister c’est danser avec le temps qui nous tue. », « Salut à qui crée des danses nouvelles ! Dansons de mille manières, que notre art soit nommé libre ! Qu’on appelle gai notre savoir ! », « La liberté c'est de savoir danser avec ses chaines. », « Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde. », « Et ceux qui dansaient furent considérés comme fous par ceux qui ne pouvaient entendre la musique. », « Dansons la vie. », Friedrich Nietzsche
Dialectique existentialiste considérant que l’art investissant la vie, la rend, grâce au gai savoir, plus intéressante, plus intense qu’un art séparé en ce qu’elle devient un art vécu. Nous ne sommes que dans nos singularités. Art et vécu sublimés. « Faire au mieux » faire œuvre d’art, étant la façon, la méthode de cet art vécu.
_____________________
RÉFLEXIONS TANGO
Pages libres, libertines et vagabondes,
délier la plume autour du déliement des corps et des pas…
Invitation au voyage.
« Le bonheur n’est pas une gare atteinte un jour, le bonheur, c’est une façon de voyager… » style…
« Le tango est une possibilité infinie » Leopoldo Maréchal
Flirt, entre le réel -possibilité- et l’utopie -infinie-, particulièrement vertigineux en même temps qu’il se vérifie chaque soir sur le terrain, sur la piste ! On pense au jeu d’échecs et à ses multiples combinaisons, la dame est bien vivante, « en chère et en ose » !, le fou est roi et cavalier à la fois.
A quoi sert d’apprendre la bibliothèque fastidieuse du tango ?
Non à réécrire un livre déjà écrit, non à copier ou singer tel professeur.
Cela sert à savoir composer un singulier tout petit poème de trois minutes qui s’appelle tango et que vous ne pouvez écrire sans connaître la bibliothèque !
Ce n’est pas l’étalage de la technique qui doit séduire, c’est le bonheur partagé de danser.
Savoir sert à oublier, à improviser toujours plus!
« Je ne cherche pas, je trouve » Picasso.
« C’est une pensée triste qui se danse » Enrique Santos Discepolo.
Réflexion qui fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre car sa contemporanéité peut être contestée autant qu’elle semble pertinente pour les origines.
« Seul un étranger peut commettre la sottise de profiter d’un tango pour bavarder ou s’amuser » Horacio Salas
Tango : dandysme et piste de danse.
Emergence de la singularité.
« Les êtres heureux sont graves, ils portent en eux attentivement leur bonheur comme dans un verre plein que le moindre mouvement pourrait renverser ».
L'homme s'habille pour mettre en valeur la femme, pour lui permettre de briller. L'homme s'habille en noir et parfois en blanc ou en gris ! La femme s'habille comme elle le veut du point de vue des couleurs mais avec l'élégance qui la fait femme. Elle s'habille jusqu'au point où on a envie de la déshabiller.
Incontournable cabécéo. Celui qui danse sans l'invite au cabécéo, sans partir du désir renouvelé de danse de la danseuse ne respecte ni le rite, ni la danse, ni l'amour, ni les femmes. C'est un vulgaire. C'est plus qu'un crime, c'est une faute !
En tango, de la part de l'homme, toute conduite qui se voit est une mauvaise conduite.
Tango : binaire à quatre temps appuyés sur le premier !
Tout tient dans l’étreinte et le regard des danseurs, il met le feu aux poudres, elle l’entretient dans sa flamme et son intensité.
Tous les grands danseurs de tangos connaissent ce bonheur ineffable lorsque la communication avec l’autre est totale.
En trois minutes, on ressent quelque chose, une émotion quasi sexuelle ! Parfois entre inconnus, c’est magique !
C’est une drogue que vous prend les pieds d’abord, puis la tête longtemps, le corps et le cœur enfin. Vous vous croyez totalement envahi mais il continue jusqu’à l’âme !
A l'image du Rio de la Plata, le Tango est un fleuve qui, à ses sources, n'est qu'un étroit filet d'eau trouble ; il coule sans méandres, s'enfle des eaux de ses affluents imperceptibles ou puissants, répand ses précieuses alluvions ; mille espèces animales le sillonnent et l'habitent; il connaît les sécheresses et les débordements, le calme des pluies et les tourmentes de l'orage, les aubes et les crépuscules amants de la nuit.
A l'image du Rio de la Plata, le Tango est un fleuve où arrivent et repartent mille vaisseaux aux mille lumières, un génie qui inspire marins et voyageurs, une tombe qui engloutit les oiseaux et les hommes dont il nourrira les vols nouveaux ; il s'étend largement ou s'étrangle dans les barrages, se parfume des algues et du vent des tempêtes, des odeurs de ses ports toujours mystérieux et de la fragrance de mille pétales. Horacio Ferrer
____________________________
Conférence : "Tanguer, signe de vie… » " J-P Roche
Extraits :
La vie est une milonga.
Pas seulement comprendre le monde, le tanguer !
Savoir, être le poète de son propre corps et, sans cesse, improviser.
Improviser son pas, sa marche, sa démarche, sa façon, son style, en liberté.
Respecter l'autre. Développer sa singularité. Être femme, être homme.
Repérer sa partenaire, la pister, adopter la démarche féline, interpréter la musique, marcher, tanguer. Tango dense, « dansité » existentielle.
Entrer sur la piste de l'élégance, de la sensualité et de la complicité ludique.
Tanguer, comédie d'un amour danse, dense de joie, d'intensité dramatique.
S'ils dansent vraiment ensemble, vous croyez qu'ils font l'amour. Acteurs, ils jouent
au grand amour. Drogués, ils ne peuvent s’en passer !
Le bonheur n'est pas atteint après la danse, épuisé, touché, atteint qu'il est pendant la danse même. Bonheur, façon de voyager et non but atteint.
Chaque danse se veut la plus belle, unique, comme chaque jour de l'existence.
La vie est là, se joue là. Tanguer, signe de vie.
Naturellement douteuses ! Occidentales européennes mélangées minorités africaines. Notons un rythme de milonga de Robert Schuman en 1839 !
Exils autour de 1900 en rêve d’Amérique du Sud. Italiens, slaves (violons), français (valse), espagnol (guitare), allemands (bandonéon)…
Bas-fonds, bordels, trottoirs et banlieues de Buenos Aires, tango du fleuve, portègne.
Brassage des populations, tango langage universel, mélange des corps.
Rareté des femmes, une femme pour sept hommes, entraînement à la danse entre hommes, femmes payées pour danser. Abondance de tangos à thèmes de lupanars, alcool, voyous des quartiers. L’église condamne.
Tango souligne la contradiction entre beauté et difficulté de la vie.
Tango et liberté. La femme est libérée du corset et fend ses jupes !
Idées libératrices de la femme qui influencent Buenos-Aires.
Buenos-Aires, capitale du tango et de la psychanalyse !
TANGO LA RUPTURE, LA DANSE SINGULIERE
Valse 3 temps………….….Tango 2 temps
Enlacer……………………..Embrasser = révolution dans la tenue : se donner
Continue……………………Rupture = vivre la musique dans l’immobilité éventuelle
Répétition………………….Improvisation 3 – 4000 figures !
Danses de salon : divertissement, métier, plan, bricolage, jeux de société, jeu de dames.
Tango argentin : drogue, bonheur, extase, jouissance, geste artistique, inspiration, réalisation du désir, jeu d’échecs.
LES STYLES ET GENRES DE TANGO
Voyou : entre hommes dans les rues pour s’entraîner.
Canyengue : tango canaille dans les lupanars avec les entraîneuses payées !
Dans les cabarets mode, Paris et Buenos-Aires.
Tango de salon anglo saxon, faux et pâle tango enseigné par les écoles de danse sans figures sensuelles, tango d’argent, de compétition hors de l’esprit du tango argentin.
Styles et orchestres :
D’Arienzo : Tango milonga rapide et cadencé.
Di Sarli : Le tango se calme et se personnalise.
Pugliese : dansabilité et style riche, harmonie, syncope, effets rythmiques.
Types :
Milongas ludiques ou chaque temps est dansé, valses argentines romantiques, tangos classiques ou modernes.
Style des années 40 avec deux tendances : tango de salon milonguero et tango fantaisie.
1 Le tango salon
De l’âge d’or, pur : Placer les pieds, enlacer, suivre le rythme, faire des pauses, marcher, marcher avec combinaisons simples mais exigeantes…
Style milonguero, almagro, court. Tango de bal, vague, danse sociale…
2 Le tango fantaisie
Imagination et figures complexes soumises aux règles de l’improvisation.
Tango de démonstration exige une grande virtuosité des danseurs…
Ligne de démarcation pas toujours claire. Profonds renouvellements des musiques et de la danse en perspective.
CHASSE CROISE BUENOS AIRES - PARIS
1907 – 1913 Mode Paris Montmartre – Montparnasse
Retour vers la haute société de Buenos-Aires.
Délupanarisation, début d’une poésie existentielle et nostalgie.
Le tango chante Paris : 20 tangos sur Montparnasse, la Coupole…
PARIS 1930 Apogée du tango, mode tango en Europe.
Tango chanté et phénomène Gardel.
35-45 Age d’or à Buenos Aires :
1935, fermeture des bordels, mort de Gardel.
Nouveaux orchestres typiques, Pugliese, Di Sarli…
Après la 2éme guerre :
Conformisme et dictature, déclin du tango à Buenos-Aires.
Paris s’apprête à prendre le relais.
Piazzolla rate le tango nuevo à Buenos Aires, exil à Paris, rencontre Nadia Boulanger et triomphe à Paris.
Exils politiques : Quarteto Cedron…
70- 90 Installation de professeurs argentins à Paris.
1980-2000 L’IRRESISTIBLE ASCENSION DU TANGO
1980 Tournée mondiale du spectacle Tango Argentino
Nouvelle vague tango à Paris et en Europe. Lieux : Trottoirs de Buenos-Aires, Latina…
Situation actuelle : Phénomène de grande mode, contemporanéité du dialogue de couple,
internet charnel, Berlin, Tokio…
FONCTIONS DES PARTENAIRES
Rapport au Couple (danse sociale et populaire)
Couple : tradition révolte (unisexe féminisme)
Retour du jeu des rôles sexuels :
tango laboratoire, théâtre analyse déconstruction, déliement, reliment
Rencontre nouvelle H F dans un espace métissé ou le monde et ses contradictions se réfractent dans une musique riche et complexe et d’une poésie dansée sans cesse renouvelée…
Tango : Collusion physique qui balaie les tabous, érotisme, animalité, sensualité.
L’homme invite, écoute, se situe dans l’espace et en guidant sert la musique et sa partenaire.
La femme est disponible, suit et séduit.
Tango, théâtre de la vie.
Au théâtre si le couple baise, c’est une comédie, sinon, c’est une tragédie…
si le couple danse bien c’est la comédie, sinon… Au tango « les êtres heureux sont graves, ils portent attentivement leur bonheur comme un verre plein que le moindre mouvement peut renverser ». Mais les corps sont heureux, jouissifs.
Tout possible des pas dans la mesure de l’élégance et du respect des autres.
Improviser, être le poète de son propre corps.
DIMENSIONS EXISTENTIELLES DU TANGO. DANSE EXISTENTIELLE
La civilisation a perdu ses vertus désirantes : peur du corps.
Spinoza : le désir est le fondement de la vie, il est fondateur.
Avec le tango, nous entrons dans le VIF du sujet.
Le tango en tant que danse existentielle incandescente, en feu, en vie.
Principe du plaisir, maîtrise des excitations.
Le plaisir réduit la tension. Le désir doit se renouveler.
Le désir s’exprime, meurt et se renouvelle.
Freud : Oui mais désir sexuel. Lacan : Perversion innée.
Désir sexuel et perversion constitue l’essence de l’homme.
Perversion, plaisir ludique, plaisir pour le plaisir, sans conséquence.
Ne cherche pas à s’articuler avec l’amour, n’entre pas directement en conflit avec l’amour.
Ludique : cruauté, sadisme, perversion initiale. Renoncement, refoulement.
Conflit : aimer consiste à élever au rang du sujet, désirer consiste à reléguer au rang d’objet.
Tanguer : pratiquer le plaisir ludique en respectant l’autre. Magie, miracle !
Le tango entre dans la grande catégorie permettant de scinder amour et plaisir : l’esclavage, la drogue, la prostitution, le jeu, les vices ! …
L’ART EVOLUTION TANGO : Une société qui met en son centre le plaisir n’est plus la même que celle qui met en son centre l’amour. On ne peut tanguer les bras en croix.
On entre dans une ère de spiritualité nouvelle pour un tango éphémère, vrai bonheur de ce monde, jouissif, pesé, sérieux. Ils ont l’air sérieux quand les bas de corps tricotent l’amour ! Pensez, ils sont conscients de fouler le paradis, ils en caressent le sol !
Le tango exige qu’on se donne corporellement mais on ne peut le danser sans âme. C’est une danse corps et âme. Drogue, passion, style, façon de marcher, de voyager.
Métissage et improvisation, rupture, pause, réflexion, jouissance de l’instant
Rapport au Savoir : pour improviser pour « devenir, danser, ce que l’on est »
Rapport au Corps : Drogue sans danger, enfin une drogue qui ns fait du bien
H-F : Corps à corps. Les deux parties : BAS : érotisme débridé, les jambes s’imbriquent,
HAUT « Les êtres heureux sont graves… »
La dignité du haut n’est qu’une perception extérieure : contact charnel toucher de mains, bras et dos, des joues, de la nuque, échange de souffles, de parfums… : complicité chaleureuse voire harmonie et passion entre les 2.
Rapport à soi à l’Existence : Style, singularité, façon d’être, baroque, félin, dandysme, libertinage : « Bonheur… façon de voyager…
Accumuler du savoir pour mieux improviser, pour plus de liberté.
Concilier la culture, la nature désirante, la singularité de chacun et de chaque rencontre.
Danse de l’élégance, de la sensualité et de la complicité ludique.
Dessine une nouvelle forme d’existence et de société de maîtres sans esclaves.
Il ne suffit pas de changer le monde, il s’agit de le tanguer, les lendemains qui dansent !
Pensée solidaire pour le peuple argentin :
« Queremos paz, queremos une vida mejor para nuestro pueblo » Gotan Project
Danse âgée d’un siècle, elle est un internet charnel, danse du siècle à venir qu’elle modèle.
Vie roman, tango réel. Tanguer : signe de vie. « Je danse donc je suis. »
« Celui qui existe, c’est celui qui danse avec le temps qui le tue » Nietzsche
La vie est une milonga, un libertinage dansé, l’existence en tant qu’œuvre d’art.
Voir aussi la conclusion du QUE SAIS-JE de Rémi Hess « Le Tango » PUF n°3100
____________________________
Les niveaux de dosage de notre drogue
Le niveau débutant est celui ou la plupart des danseurs passent à côté de l’essentiel, de la substance, en oubliant leurs sens. La musique est largement méprisée et la danse semble difficile de ce fait.
Le niveau intermédiaire est l’âge ingrat, l’adolescence tanguera ou la plupart des danseurs s’égarent dans l’accumulation inutile de figures approximatives, ne sait pas doser sa drogue. Elégance et sensualité méprisées.
Le niveau avancé est celui ou le danseur commence enfin à dénier approfondir le pas de base milonguero. Le danseur avancé suit comblé une classe de niveau débutant parce qu’il sait y saisir la substance. Produit naturel et bon dosage, ouverture du livre des plaisirs et des voyages.
Le niveau confirmé est celui ou le danseur boit la musique et trouve et découvre une danse d’instinct, d’improvisation dissipant l’altérité des corps et formant le couple. La drogue musicale fait enfin son effet lascif « et ce n’est jamais ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre… ». Le tango en tant que possibilité infinie fait son effet sur ses âmes damnées et ses corps déliés lianes de la sensualité… J-P Roche Sept 03
____________________________
Tango argentin, tango universel
Le tango a plus d’un siècle mais il n’est pas la danse du 20éme siècle, il est la danse du 21éme siècle.
La mondialisation, la globalisation impliquent un déracinement
La base culturelle essentielle du tango c’est son déracinement, son métissage
Vivre le nomadisme et le déracinement de ce début du 21éme siècle est une expérience vertigineuse équivalente à l’exil vers le Rio de la Plata à la fin du 19éme siècle, notre aventure moderne.
Le nomadisme et le déracinement se sont déplacés du Rio de la Plata au village planétaire global.
Passage d’une culture locale à une culture du village universel : d’argentin le tango devient universel. Le tango argentin est le socle sur lequel s’édifie le tango universel.
Devenu apatride et planétaire le tango existe au-delà de Buenos-Aires et de Paris qu’il outrepasse.
Il n’y a pas à défendre un « tango argentin » contre un « tango universel » car le tango universel contemporain est le développement durable du tango argentin, il est le tango argentin lui-même en devenir.
Il existe une culture universelle. N’est digne d’être culture que ce qui, devient universel, à valeur universelle. J-P Roche Sept 03
______________________________
J’en profite pour vous parler de l’invite. Dans la tradition tanguera, nous pratiquons, entre danseurs avertis, l’invite au regard, au « cabécéo», à partir d’un échange de regards suivi d’un acquiescement mutuel. Ainsi la femme cherche le regard des hommes disponibles avec lesquels elle veut danser et l’homme en fait autant. A distance les regards se croisent, se posent, s’entendent, les danseurs se rejoignent et la danse peut commencer. Ainsi le tango est riche de ses prémisses et commence par ce désir de danser ensemble, cette complicité. Naturellement il peut y avoir des exceptions lorsque par exemple un homme veut danser avec sa voisine de table ! Mais ces exceptions ne sauraient remettre en question la belle tradition tanguera, sa riche culture et ses rites tellement sensuels qui font l’âme de notre danse. Si nous n’allons pas inviter directement une femme c’est pour ne pas la gêner, ne pas lui forcer la main et afin de lui laisser le choix de ses partenaires, par respect pour elle et pour ne pas avoir à essuyer un refus. Idem pour la femme. Une femme invitée directement et sans échange de regard préalable se doit naturellement de refuser au danseur mal élevé et sans éducation tango. Et si elle (il) accepte une fois, à un débutant(e) par exemple, elle (ou il) doit au moins indiquer clairement à son danseur sa préférence pour l’invite au regard. Nous avons un texte qui explique cela. Ne vous étonnez pas si je cherche votre regard afin de trouver l’acceptation complice, façon tango. Je n’invite pas autrement. De cette façon, jamais de situation embarrassante n’est créé et aucun danseur ne refuse de danser avec l’autre puisqu’ils viennent de se choisir ! La danse commence par UN DESIR DE DANSE, et LE DESIR SE DANSE. J-P Roche
______________________________
Extraits de « BUENOS AIRES » de Alicia Dujovne Ortiz. « Des villes » aux Editions du Champ Vallon
« Ensuite, j’ai dansé. Il faut préciser, avant tout, qu’une femme argentine ne danse jamais le tango comme si de rien n’était, d’une façon courante. Elle ne le danse qu’avec certains cavaliers, comme elle ne fait l’amour qu’avec certains hommes. Ce qui se passe entre deux êtres qui dansent le tango est chaque fois unique. On construit chaque fois le tango. On l’invente. De même qu’il n’existe pas deux empreintes digitales identiques, il n’y a jamais deux tangos identiques. J’ai donc dansé avec l’homme qui, mieux que les autres, me parut capable de faire surgir, de ses jambes et des miennes, cet animal fabuleux, ce monstre bicéphale, qu’on appelle : tango. Montres à quatre pattes, langoureuses ou impérieuses, qui ne vit que le temps d’une musique, et meurt assassiné par le tchan-tchan final. J’ai éprouvé alors, dans mon corps entier, l’oblique sentiment d’être portena. Comment concevoir un tango face à face ? Un tango carré ? Un tango en ligne droite, comme une danse tyrolienne ?
Le tango est foncièrement baroque. L’esprit classique avance droit devant lui. L’esprit baroque s’offre des détours malicieux, délicieux. Ce n’est pas qu’il veuille arriver plus vite. Ce n’est même pas qu’il veuille arriver. C’est qu’il veut jouir du voyage. Où allions-nous ainsi, mon cavalier et moi, croisés l’un contre l’autre, non pas comme la croix chrétienne, mais comme les tibias qui soutiennent la tête de mort, sur le drapeau noir des pirates ? Ou allions-nous ? Ou, plus exactement, où allait-il, mon dictateur privé, qui commandait à chacun de mes mouvements en traçant, sur mon dos, un signe secret ? Une femme qui danse le tango doit posséder des dons divinatoires. Il lui est recommandé de se faire transparente, presque médiumnique, de décrypter des ordres de son cavalier quelques secondes à l’avance, avant même qu’il sache lui-même quelle position déhanchée, vicieuse, perverse, il va imposer à son pied. Tout en dansant je me souvenais d’un cheval que j’aimais monter. Je me rappelais la façon si délicate dont il restait à mon écoute, et comme il savait s’arrêter, s’il devinait chez moi la moindre hésitation sur le chemin à suivre. Ma main n’avait pas encore bougé, n’avait même pas tremblé sur les rênes, qu’il comprenait déjà l’idée nouvelle germant en moi. Pour une femme, danser le tango, c’est devenir ce cheval divinement sensible, c’est obéir aux ordres les plus subtils et les plus silencieux du cavalier aux jambes d’acier. »
______________________________